R E V U E  N A T I V E S

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P R O P O S  R E C E U I L L I S  E T  É C R I T  P A R  D I D I E R  H I L A R

J A N V I E R  2 0 2 2

 

 

C'est en 2017 qu'Anaïs Budet crée son premier "grand" portrait amérindien. Elle répond à cet appel reçu à ses 21 ans d'un nécessaire témoignage de l'histoire des peuples d'Amérique et plus globalement des peuples autochtones. Son art est au service d'une mise en lumière de ces identités. Elle nous invite à la suivre sur son chemin créatif, sensible. Immersion dans son atelier d'artiste. 


Depuis votre plus jeune âge, vous entretenez un lien profond avec la nature et le vivant mais aussi avec les peuples amérindiens. Comment est apparu ce besoin impérieux de témoigner de vos perceptions, de vos visions amérindiennes ?

Toute mon enfance et mon adolescence, j'ai chevauché la campagne. Cette relation avec les chevaux et la nature m'a apporté une sensation de liberté, d'unité avec le vivant. Les galops dans les prairies, les promenades dans les forêts, tous ces moments passés avec eux ont développé mon ressenti. Les chevaux sont d'excellents pédagogues pour cela ; j'ai appris à percevoir, à écouter, à voir au-delà du visible. J'ai ainsi accepté mes perceptions, mes intuitions, ces liens subtils avec l'invisible. En même temps, se développait une empathie irrationnelle pour les Indiens d'Amérique du Nord. Ils représentaient à mes yeux la liberté et cette relation à la nature mais aussi une certaine noblesse. J'ai été notamment bouleversée par le film Le Dernier des Mohicans. Peu à peu, j'ai pris conscience que quelque chose était là, en moi ; ma sensibilité grandissait. J'ai toujours eu des visions comme si des mémoires se réveillaient, mais j'avais des difficultés à vivre ces connexions. J'ai donc rencontré des personnes qui m'ont aidée à mieux comprendre et maîtriser ce que je vivais jusqu'à cette révélation à 21 ans. 

2 Pouvez-vous nous en parler ?

Je parle rarement de ces choses-là qui sont très intimes. Je peux simplement vous dire que j'ai eu cette révélation, une sorte de rêve éveillé où j'ai eu la vision particulière d'un grand chef de tribu indienne qui est venu me "visiter". Ce moment a été d'une lumineuse clarté et j'ai compris à cet instant que cette mémoire indienne avait toujours été là. Mon amour des chevaux, ma relation à la nature, ma bienveillance pour les miens, mon respect du vivant, tout était en résonance avec cette compréhension de ce que je vivais depuis mon enfance. J'ai eu aussi l'information de ce que j'accomplis aujourd'hui : porter en lumière l'histoire traversée par ces peuples.


3 Dans les toiles que vous réalisez le sujet est présent comme si vous aviez peint d'après un modèle vivant. Comment établissez-vous cette relation intime et comment choisissez-vous vos personnages ?

Après ce message et ses visions amérindiennes, c'est tout naturellement que j'ai entrepris de consulter les ouvrages d'Edward S.Curtis et ses nombreux portfolios. Ce photographe a consacré la plus grande partie de son travail à rendre visite à plus de quatre-vingts tribus d'Indiens d'Amérique du Nord pour témoigner de leur mode de vie et de leurs traditions, immortalisant ainsi par des prises de vue uniques les traces de leur culture menacée. C'est là la source de mes inspirations. Je parcours les catalogues, je croise ces visages, je m'imprègne de leur environnement, des ambiances, de l'instant de la prise de vue. Page après page, la distance photographique disparaît, puis advient la rencontre. Je suis appelée, un personnage me parle, je suis en sa présence. Je suis choisie pour raconter son histoire et son "sentiment". Tout ceci est au-delà d'une quelconque volonté, d'une quelconque nécessité de faire le bon choix. Je viens d'être reconnue et invitée à la rencontre. 

4 La mise en oeuvre de vos toiles procède à un véritable rituel. C'est un travail alchimique, une conscience organique de la peinture qui s'opère à travers vous. Pouvez-vous nous raconter ces étapes de la création ?

Ayant pris soin de contacter la Fondation Curtis (The Curtis Legacy Foundation), pour être autorisée à m'inspirer de cette photographie qui m'a appelée, je prépare l'atelier. Mon travail préalable est de décliner cette image en différents modes de reproduction (noir et blanc, saturation des contrastes, teintes...). Je crée l'espace de la rencontre avec cet être qui va habiter la toile, je m'imprègne de sa présence qui couvre les murs. Après plusieurs jours d'immersion où j'observe tout et rien à la fois, vient l'instant de la mise en oeuvre. Je pose la toile vierge au sol, le lieu du partage est crée. La deuxième étape est la préparation des couleurs qui vont apparaître pour signifier l'énergie de cet échange. C'est un moment particulier où, intuitivement, se dessine déjà la caractère de la personne qui est là. Un véritable dialogue s'installe, chacun apprend le vocabulaire de l'autre, la communication s'établit. Je suis à l'écoute de ce qui s'avance. Mon corps, mon esprit, ma respiration, mon être tout entier est concentré vers cette énergie, cette force de vie qui se présente. Dans un troisième temps, j'inonde la toile de l'eau que j'ai préparée en conscience. Je communie avec son énergie, elle qui est porteuse de la mémoire des mondes et c'est cette intelligence organique que je convoque pour la préparation des fonds. Ce sont cinq à sept couches qui vont être posées sur la toile. Le moment est fondateur, les fonds laissent entrevoir l'âme du visage. Une vibration, une fréquence se manifeste, la quintessence du portrait est perceptible. Les masses se disposent. Se manifeste de manière spontanée une expression sous toutes ses formes et non-formes, l'incarnation se dessine.


5 C'est à ce moment que le dessin se précise ?

Oui, les fonds ont établi les pleins, les vides. Intuitivement le visage est déjà là, prêt à être révélé. Je prends alors la craie blanche pour tracer le dessin du visage. Les traits vont accompagner le travail des ombres. La cinquième étape est une plongée dans les eaux noires des profondeurs de l'être, la visite des ombres. Une histoire va être contée, l'ombre va mettre en lumière l'histoire de l'être que je peins, le voile se lève, le visible devient visible. L'union du ciel et de la terre peut s'accomplir, les couleurs sont invitées à donner naissance, la lumière s'apprête à éclairer la matière. C'est l'accomplissement de cette communion qui constitue la septième et dernière étape de la création. La toile s'éclaire par les touches de lumière qui s'imposent. Le portrait s'anime, la présence de cet être rencontré dans un catalogue est effective. La mémoire est activée et l'histoire est transmise, partagée. 

6 Votre dernière oeuvre fait apparaître une nouvelle relation que celle établie avec les Indiens d'Amérique du Nord ? Cela augure t-il d'une nouvelle dimension dans votre travail ? 

Il me tient à coeur de consacrer une partie de mon travail aux peuples autochtones dans leur ensemble. Ils portent en eux une richesse que nous devons accueillir et partager. Je rencontre aujourd'hui de nouvelles représentations telle que celle de cette femme Métisse Tagalo-Chinoise. Je remercie de tout coeur le Musée du Quai Branly de m'avoir donné les droits de cette photographie. J'espère qu'elle vous remplira les yeux de raffinement, de beauté et de lumière. Pour ma part, elle ouvre effectivement sur une nouvelle dimension dans mon travail.